Q&A : 1 Timothée 2.4 contredit-il le calvinisme?

Le texte 1 Timothée 2.4 est certainement l’un des textes les plus souvent cités, avec 2 Pierre 3.9, par ceux qui s’opposent aux doctrines de la grâce, notamment à l’expiation limitée (Le « L » de l’acronyme TULIP), comme conçu dans la pensée réformée. L’intention derrière est de jeter le doute sur l’idée selon laquelle Dieu a élu des individus pour le Salut et ainsi, de nier une intention particulière dans l’expiation et finalement que Dieu a un amour particulier pour ses enfants.

Voici le texte qui est utilisé à cette fin :

« qui [DIEU] veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.» 1 Ti 2.4

Les réformés sont en accord avec les doctrines de la grâce et croient que Christ est mort pour les élus, tel que nous le présentent plusieurs textes :

« Je suis le bon berger, et je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent. Comme le Père me connaît, je connais aussi le Père, et je donne ma vie pour mes brebis. » (Jn 10.14-15)

« Je prie pour eux; je ne prie point pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés, parce qu’ils sont tiens. Et tout ce qui est mien est tien, et ce qui est tien est mien; et je suis glorifié en eux. Et maintenant je ne suis plus au monde, mais ceux-ci sont au monde; et moi je vais à toi, Père saint, garde-les en ton Nom, ceux, dis-je, que tu m’as donnés, afin qu’ils soient un, comme nous sommes un. » (Jn 17.9-11)

« Prenez donc garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis Evêques, pour paître l’Eglise de Dieu, laquelle il a acquise par son propre sang » (Ac 20.28)

Bien que de nombreux autres textes pourraient être cités aux fins de cet article, ici nous nous contenterons de ceux-ci et nous remarquerons 3 choses:

  1.  Christ a donné sa vie pour les brebis, non pas pour les chèvres,
  2. Christ a prié pour un groupe spécifique de personnes, c’est-à-dire ceux que le Père lui a donnés (cf Jn 6.37),
  3. Christ est mort pour les croyants, c’est-à-dire l’Église.

Dans un article à venir, je traiterai de l’expiation accomplie par Jésus-Christ et de sa portée. Ici, concentrons-nous sur le texte, son contexte et son application.

C’est en effet le problème avec l’usage fait de ce texte par ceux qui rejettent l’expiation limitée sur la base d’une lecture partielle du texte. C’est le cas lorsqu’on fait du grapillage de versets pour démontrer des convictions, plutôt que de s’intéresser à ce que dit le texte. Le verset en question s’inscrit dans un contexte très significatif. Voici le texte plus large :

 « J’exhorte donc qu’avant toutes choses on fasse des requêtes, des prières, des supplications, et des actions de grâces pour tous les hommes; Pour les Rois, et pour tous ceux qui sont constitués en dignité, afin que nous puissions mener une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. Car cela est bon et agréable devant Dieu notre Sauveur; Qui veut que tous les hommes soient sauvés, et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité. Car il y a un seul Dieu, et un seul Médiateur entre Dieu et les hommes, [savoir] Jésus-Christ homme; Qui s’est donné soi-même en rançon pour tous, témoignage qui a été rendu en son temps. C’est dans cette vue que j’ai été établi Prédicateur, Apôtre ( je dis la vérité en Christ, je ne mens point), et Docteur des Gentils en la foi, et en la vérité. » (1 Timohtée 2.1-7)

Le verset 4 commence par « qui », faisant évidemment référence à Dieu (v.3). Le verset 3 nous indique qu’il y a quelque chose de « bon et agréable devant Dieu ». La phrase s’ouvre avec « Car cela », faisant référence à un antécédent dans le texte qui est le « cela » du « bon et agréable devant Dieu ». Ce « cela » exprimé par Paul fait référence à : les « requêtes », les « prières », les « supplications » et les « actions de grâce pour tous les hommes ». Les « hommes » en question sont par ailleurs indiqués par l’apôtre. Il s’agit des « Rois », « ceux qui sont constitués en dignité » et puis la raison est mentionnée par l’indication « afin ». La raison est « que nous puissions mener une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. C’est cela qui est « bon et agréable devant Dieu ». 

Dans le contexte de l’époque, les chrétiens étaient persécutés par les autorités en place. L’exhortation de Paul vise à indiquer de prier également pour les gens qui occupent des « classes » privilégiées dans la société et qui peuvent rendre la vie des croyants plus « paisible ». C’est la ségrégation qui est en cause et Paul indique que les prières doivent être dirigées envers des hommes de toutes les classes de la société, vers « tous les hommes ».Le contexte nous l’indique clairement. Les destinataires doivent prier également pour ceux-ci, et donc, pour « tous les hommes ».

Pourquoi voit-on alors dans ce « tous les hommes », tous les individus du monde entier? Cela relève d’une très mauvaise exégèse du texte, de la compréhension de la langue et de l’usage commun du langage. Par exemple, dans le texte suivant :

« …car tous croyaient que Jean avait été un vrai Prophète. » (Marc 3.22)

Qui comprendrait que le « tous croyaient » indique que tous les individus qui composent l’humanité croyaient que Jean avait été un grand prophète? Évidemment personne. Par ailleurs, le contexte indique clairement que les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens (v.27) ne sont pas inclus dans le « tous croyaient ». Il s’agit simplement d’une manière de parler.

Devrions-nous comprendre que le « tous te cherchent » dans Marc 1.37 indique tous les individus qui composent l’humanité? Bien sûr que non! De toute évidence, le mot « tous » ne signifie pas toujours « tous les individus qui composent l’humanité », comme on essaie de lui faire dire dans 1 Timothée 2.4. Au contraire, en français, le terme « tout » peut être un adjectif, un adverbe ou un déterminant. Cependant, en grec, le terme « πάντας » que l’on retrouve dans ce passage est un adjectif. Dans ce cas, il détermine le nom « homme » (ἄνθρωπος). Il indique que l’entièreté du groupe, les hommes, et il prend le sens que lui donne le contexte. Ici, il détermine un groupe qui, tel que l’indique le propos de Paul, inclut des hommes de classes différentes : des hommes privilégiés que Paul a nommés dans le texte : « les Rois » et « ceux qui sont constitués en dignité », qui doivent également faire l’objet des prières (v.1). Paul n’est pas en train d’indiquer à ses auditeurs qu’ils doivent prier pour chaque individu individuellement qui compose l’humanité, mais qu’ils doivent également prier pour les « Rois » et « ceux qui sont constitués en dignité ». Le contexte est clair.

Il ne veut pas plus dire « tous les individus de l’humanité » qu’on ne voudrait le dire en utilisant l’expression « je vais le dire à tout le monde ». Qui comprendrait que nous sommes en train de dire que nous irons le dire à chacun des individus qui composent l’humanité? C’est simplement hors contexte! Ce n’est ni respecter le sens du mot, ni le contexte, ni le gros bon sens.

Le problème dans le passage que nous étudions est qu’au lieu de lire le texte dans son contexte, ceux qui s’opposent à la doctrine de l’expiation limitée y importent un présupposé théologique et y voient un argument justifiant celui-ci, alors que le texte n’a rien à y voir. C’est ce qui s’appelle de l’eisegèse[1].

[1] L’eiségèse est l’interprétation subjective d’un texte, à l’opposé de l’exégèse. L’exégèse se veut l’interprétation du texte dans son contexte, afin d’en retirer le sens. L’eisegèse, au contraire, fait dire au texte quelque chose qu’il ne dit pas.

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