La parole de l’Éternel me fut adressée, et il me dit :
Fils d’homme, que vaut le bois de la vigne plus que les autres bois, et les sarments plus que les branches des arbres des forêts ? (Ézéch. 15.1,2)
Rien n’égalait la présomption et l’arrogance de la nation juive. Lorsqu’elle péchait contre son Dieu, elle se flattait qu’en considération soit de la haute sainteté de ses ancêtres, soit d’une certaine sainteté qu’elle s’attribuait à elle-même, le pardon lui était acquis à l’avance, quelque grave, d’ailleurs, que fût son péché. Tant de fois la miséricorde infinie de Jéhovah s’était déployée en sa faveur ; tant de fois sa main puissante l’avait retirée des dangers les plus imminents, que cette nation orgueilleuse en était venue à s’imaginer, qu’enfant chéri de la Providence, elle ne serait jamais rejetée. C’est pourquoi le Seigneur, afin d’humilier sa fierté, lui fait entendre par l’organe du prophète Ézéchiel qu’elle ne peut se vanter d’aucune supériorité sur toute autre nation de la terre, et il lui demande ironiquement ce qu’il y a en elle qui puisse la recommander à la bienveillance divine. « Il est vrai, ô maison d’Israël, semble dire le Très-Haut, il est vrai que je t’ai souvent appelée ma vigne ; je t’ai plantée sur un coteau dans un lieu gras ; je t’ai cultivée, je t’ai entourée de mes soins ; mais tu ne me rapportes aucun fruit : pourquoi donc continuerais-je à t’avoir pour agréable? Si tu crois que par toi-même tu vaux mieux que tout autre peuple, tu t’abuses étrangement. Que vaut le bois de la vigne plus que les autres bois, et les sarments plus que les branches des arbres des forêts? »
Et ici, remarquons, mes frères, que ces paroles ne portent nullement atteinte à la grande vérité de la souveraine et immuable élection de Dieu ; car le peuple d’Israël, vous le savez, n’était pas choisi en vue du salut éternel, mais il était choisi dans ce sens qu’il jouissait de privilèges particuliers : son élection, en tant que peuple, n’était qu’une ombre et une image de cette élection personnelle et inviolable que Christ a exercée envers les siens. De sa véritable Église élue, Dieu ne retirera jamais son amour ; mais quant à l’Église visible et extérieure, il lui cache souvent sa face. À son peuple particulier et qui lui appartient en propre, il donnera toujours des gages de son affection ; mais quant aux chrétiens de nom, à ceux qui font simplement profession d’être ses disciples, il peut leur retirer… que dis-je? Il leur retirera infailliblement toute marque de sa faveur. — Mais pour en revenir à Israël, le Seigneur, je le répète, l’humilie par la parabole contenue dans mon texte, en lui rappelant qu’il n’est en rien supérieur à aucun autre peuple ; bien plus, il lui déclare qu’en soi il est une nation chétive, méprisable, indigne d’être mise de pair avec le cèdre de Babylone ou avec le chêne de Samarie, et que s’il ne porte point de fruit, il n’est bon à rien, il est absolument sans valeur.
Mes bien-aimés, cette parabole adressée primitivement à Israël, nous allons essayer, avec le secours de Dieu, de nous l’appliquer à nous-mêmes. Deux grands enseignements me semblent en ressortir d’une manière évidente. Le premier s’adresse aux vrais enfants de Dieu, et peut se résumer en deux mots : soyez humbles. Le second s’adresse à tous ceux qui font profession de piété, et peut se formuler ainsi : EXAMINEZ-VOUS VOUS-MÊMES.
I.
SOYEZ HUMBLES : tel est, avons-nous dit, le grand enseignement que donne notre texte à ceux qui ont déjà goûté combien le Seigneur est bon. Que vaut le bois de la vigne plus que les autres bois, et les sarments plus que les branches des arbres des forêts?
En observant les diverses allusions faites à la vigne dans l’Écriture, il semble qu’une sorte de prééminence lui soit attribuée sur tout le monde végétal; — témoin, par exemple, l’antique parabole de Jotham, où les arbres sont représentés comme s’inclinant devant la vigne, en lui disant : viens et règne sur nous (Juges 9.8-15). Toutefois, si nous considérons la vigne, indépendamment de sa fertilité, il est certain que nous ne verrons rien en elle qui lui donne droit à aucune distinction, encore moins à une royauté quelconque sur les autres arbres. Sous les divers rapports de la grosseur, de la forme, de la beauté, de l’utilité, le cep de vigne, en effet, leur est infiniment inférieur. Il n’est propre à aucun usage. En prendra-t-on du bois pour en faire quelque ouvrage, ou en prendra-t-on une cheville pour y pendre quelque chose (Éz. 15.3)? À part sa fertilité, la vigne est donc à peu près inutile. Nous l’admirons, il est vrai, lorsque nous la voyons tapisser de son riche feuillage les murs de nos demeures; et, en Orient surtout, où les plus grands soins étaient apportés à sa culture, elle atteignait le plus haut degré de luxuriance. Mais qu’on prenne la vigne à son état de nature, qu’on la laisse à elle-même, elle est, sans contredit, un des arbrisseaux les moins intéressants et les plus inutiles qui croissent sous le soleil.
Or, mes bien-aimés, il en est de même de l’Église de Dieu, et voilà pourquoi l’humilité est pour elle un impérieux devoir. Les croyants sont appelés « la vigne du Seigneur »; mais par nature, que valent-ils plus que leurs frères en Adam? Ils ne sont pas meilleurs que leurs semblables; il est même des hommes du monde qui leur sont infiniment supérieurs, soit par l’élévation de leurs sentiments, soit par l’excellence de leurs qualités. Sans doute, par la grâce de Dieu, les chrétiens sont devenus des sarments fertiles; ils ont été plantés dans un bon terroir; le Seigneur a étendu leurs rameaux sur les murailles du sanctuaire, et maintenant ils portent du fruit à sa gloire. Mais, — j’en appelle à leur propre témoignage — que seraient-ils sans la miséricorde de leur Dieu? Que deviendraient-ils sans l’influence continue du Saint-Esprit qui seule féconde leurs âmes? Ne sont-ils pas les derniers parmi les fils des hommes, les plus méprisables entre ceux qui sont nés de femme? Considère ceci, ô croyant! Avant ta conversion, qu’y avait-il en toi qui put te rendre agréable aux yeux de Dieu? Que dis-je? Maintenant même, qu’y a-t-il en toi dont tu aies sujet de te glorifier? Ta conscience ne t’accuse-t-elle point sans cesse? Est-il un seul jour de ta vie dans lequel tu n’offenses point le Seigneur, et tes infidélités, tes égarements sans nombre ne te disent-ils pas que tu es indigne d’être appelé son fils? La faiblesse de ton intelligence, la fragilité de ton sens moral, ton incrédulité toujours renaissante, tes chutes réitérées, en un mot, tes misères de tous genres ne t’obligent-elles pas à reconnaître que tu es moins que le moindre de tous les saints? Et s’il a plu à Dieu de faire de toi quelque chose, ne dois-tu pas avouer que c’est uniquement par un effet de sa grâce, de sa grâce libre et souveraine, que tu es ce que tu es? — Ah! s’il y avait dans ce moment devant moi une âme qui, tout en se considérant comme élue de Dieu, ne fut pas prête à s’associer à ces aveux, mais se persuadât qu’elle a été choisie en considération de quelque mérite ou de quelque bon sentiment qui lui était propre; — que cette âme sache bien qu’elle n’a encore rien compris aux premiers éléments de la grâce, et qu’elle est dans les ténèbres par rapport à l’Évangile. Tout homme qui a reçu la vérité d’une manière efficace doit être prêt à confesser en toutes rencontres qu’il est le plus vil des pécheurs, le rebut de toute la terre ; — que par nature il était perdu, souillé, indigne, — ou plutôt digne de la condamnation, digne de l’enfer; et que s’il a été choisi dans le monde et rendu différent de ses semblables, c’est uniquement à la grâce toute gratuite, à l’amour spontané et immérité de son Dieu qu’il en est redevable. O chrétien, toi qui es aujourd’hui grand par ta foi et grand par tes oeuvres, tu ne serais grand que par tes péchés, si ce n’était la grâce de Dieu ! O toi, vaillant soldat de la vérité, tu serais non moins vaillant à combattre pour Satan, si une influence divine n’avait agi sur ton cœur! Un trône de gloire t’est réservé dans le ciel ; mais tu n’aurais eu à attendre qu’une chaîne d’obscurité en enfer, si l’Esprit-Saint ne t’eût transformé. Maintenant, tu exaltes l’amour de ton Sauveur ; mais une chanson licencieuse serait peut-être sur tes lèvres, si la grâce ne t’avait lavé dans le sang de Jésus. Maintenant, tu es sanctifié, vivifié, justifié ; mais, je te le demande, que serais-tu en cet instant même, si la main du Très-Haut n’était intervenue en ta faveur? Il n’est point de crime dont tu n’eusses pu te rendre coupable ; il n’est point d’excès, point de vice dans lequel tu n’eusses pu tomber : peut-être, à cette heure, serais-tu un meurtrier, si la grâce préventive de Dieu n’eût retenu ta main. Un jour, tu seras rendu semblable aux anges ; mais tu aurais été semblable aux démons, si la grâce n’eût fait de toi une nouvelle créature. C’est pourquoi, ô chrétien, ne t’élève jamais par orgueil. Souviens-toi que tous tes vêtements te viennent d’en haut : des haillons étaient ton seul héritage. Souviens-toi que la somptueuse demeure, l’inépuisable trésor qui t’attendent pour l’éternité, sont un don de ton Père céleste : il fut un temps où tu ne pouvais dire que rien fût à toi, si ce n’est tes péchés et ta misère. Maintenant, la précieuse justice de ton Sauveur te couvre, et revêtue de la robe sans tache du Bien-Aimé, ton âme est acceptée de Dieu ; mais n’oublie pas que tu serais encore comme enseveli sous des montagnes de péchés, et enveloppé dans les haillons souillés de l’iniquité, si Dieu n’avait eu pitié de ton lamentable état. Et toi, ô mon frère, tu pourrais t’enorgueillir? Tu pourrais ne pas marcher avec les humbles? Oh! étrange mystère, inexplicable contradiction! Quoi? Tout ce que tu as est emprunté, et tu oserais te glorifier! Tu ne possèdes rien qui t’appartienne en propre, tu ne vis que d’aumônes — et tu serais orgueilleux! Misérable indigent, dénué de toute ressource, tu dépends entièrement de la munificence de ton Sauveur — et tu serais vain! Pauvre âme fragile et languissante, tu as une vie qui ne peut être alimentée que par les ruisseaux vivifiants dont Jésus est la source — et tu serais fière! Va, mon bien-aimé, défais-toi à tout jamais de ton orgueil ; dépouille-t’en au plus tôt ; pends-le à un gibet aussi haut que celui d’Haman ; laisse-l’y tomber en poussière, et exècre sa mémoire jusque dans l’éternité ; car, en vérité je te le dis, parmi toutes les choses dignes d’être maudites, haïes et méprisées, l’orgueil d’un chrétien occupe le premier rang! L’enfant de Dieu a dix mille fois plus de motifs que tout autre de marcher en humilité devant son Dieu, et de se montrer doux, indulgent et débonnaire envers ses semblables. Croyant, reçois donc instruction de mon texte, et n’oublie jamais que la vigne ne vaut pas plus que tous les autres arbres, si ce n’est à cause de la fertilité que Dieu lui a départie.
II.
Mais si mon texte donne aux fidèles en particulier une leçon d’humilité, il donne aussi à tous ceux qui se réclament du nom de Christ un bien sérieux avertissement. Examinez-vous vous-mêmes, semble-t-il nous dire ; car ainsi qu’une vigne stérile est dénuée de toute valeur, ainsi l’homme qui fait profession de piété sans porter les fruits convenables à la piété est l’être le plus inutile et le plus méprisable qui soit au monde.
Étudions ce grave sujet, mes chers amis. Et tandis que je parlerai, puissent mes paroles pénétrer dans chacune des âmes ici présentes, en sorte que tous ensemble, ministres et laïques, anciens de l’Église et simples auditeurs, nous soyons portés à sonder nos coeurs et nos reins, afin de reconnaître si réellement nous sommes dans la foi ou bien si notre prétendu piété ne serait pas un vain et stérile formalisme.
En abordant notre sujet, quatre questions se présentent naturellement à l’esprit. En premier lieu : où trouve-t-on la vigne stérile, c’est-à-dire le chrétien formaliste? Ou, ce qui revient à peu près au même : comment peut-on le reconnaître? En second lieu : d’où vient qu’il soit stérile? En troisième lieu : quel est le cas que Dieu fait de lui? El en quatrième lieu : quelle sera sa fin? Reprenons successivement chacune de ces questions.
Et d’abord : où trouve-t-on le chrétien formaliste? Je réponds : partout. Oui, mes chers amis, partout : en bas et en haut, dans les chaires et sur les bancs, dans l’Église et dans le monde. Il n’est pas d’assemblée de croyants où se glisse quelque faux frère. Ne nous préoccupons donc pas des autres communions religieuses, mais disons-nous qu’il y a des formalistes dans notre Église, qu’il y en a dans cette assemblée. À quelque portion de la vigne du Seigneur que vous apparteniez, soyez sûr qu’elle renferme dans son sein plus d’un sarment stérile ; et qui vous dit que vous n’en êtes pas un vous-même? Le formaliste se rencontre dans toutes les positions, dans tous les rangs de la société. Tantôt, il est riche ; il nage dans l’opulence ; Dieu lui a donné une grande part des biens de la terre, et peut-être l’Église à laquelle il se rattache, oubliant que Dieu a choisi les pauvres de ce monde, est fière de le compter parmi ses membres. Elle l’honore d’une façon particulière ; et pourtant, que reçoit-elle de lui, en retour des hommages qu’elle lui prodigue? Rien, ou presque rien. Ses pauvres sont encore dans le dénuement ; ses ressources ne sont pas augmentées par les trésors de l’homme riche ; ou si elle reçoit un peu de son or, du moins n’est-elle ni soutenue par ses prières ni honorée par la sainteté de sa vie, car il marche dans la voie des pécheurs et se plonge dans les voluptés, ne se servant de la religion que comme d’une sorte d’uniforme sous lequel il espère cacher sa conduite indigne. — Mais s’il faut souvent aller chercher le formaliste parmi les riches, il se trouve souvent aussi parmi les pauvres. Combien de personnes appartenant à la classe indigente qui se sont jointes à telle ou telle Église et qui ont reçu de la part des fidèles l’accueil le plus cordial! On se félicitait de voir la pauvreté et la grâce se donner la main ; on se réjouissait à la pensée que la piété allait embellir la cabane du pauvre, et faire de son humble demeure une demeure de paix. Mais, hélas! bientôt, on a découvert que ce pauvre se dégradait lui-même en s’adonnant à des habitudes vicieuses, et déshonorait son Dieu, en se conduisant d’une manière indigne de sa profession : il était buveur, jureur ou paresseux, en sorte que bien loin d’être un membre utile de l’Église, il était pour elle un fardeau et un opprobre.
Tantôt, l’on trouve des formalistes dans ces hommes de grand savoir et de haute intelligence, dans ces théologiens érudits qui mènent, pour ainsi dire, l’avant-garde de l’armée de Dieu ; dont la parole est éloquente et persuasive, dont l’opinion fait loi, qui parlent comme des prophètes et qu’on regarde presque comme inspirés. Ils ont sans nul doute porté des fruits de science, de popularité ou de philanthropie ; mais leurs cœurs n’étant pas droits devant Dieu, leurs œuvres, excellentes en elles-mêmes, n’ont rien de commun avec la sanctification ; c’est pourquoi la fin de ces hommes ne saurait être la vie éternelle (Rom. 6.22). C’est en vain qu’on chercherait en eux les fruits de l’Esprit ; car ils ne sont point des sarments vivants de ce cep divin duquel seul procède toute vie. — Mais si d’une part il y a des formalistes parmi les sages et les intelligents, de l’autre il y en a parmi les petits et les illettrés : gens modestes et sans prétention qui parlent peu et dont personne ne parle, ils se glissent régulièrement chaque dimanche dans la maison de Dieu, s’assoient à leur place accoutumée, écoutent le sermon, puis s’en vont, persuadés que par le seul fait de leur présence au culte divin, ils ont rempli leurs devoirs religieux. En général, ils sont silencieux, réservés, et se plaisent dans l’isolement. Paresseux et égoïstes, ils se replient sur eux-mêmes et ne font rien pour autrui ; vigne stérile, ils occupent inutilement la terre. Et de même qu’il y a des formalistes dans toutes les conditions sociales, de même il y en a dans toutes les conditions spirituelles. C’est ainsi, par exemple, qu’on peut en trouver parmi ces âmes qui sont toujours à craindre et à douter. Comme le croyant faible et mal affermi, ils répètent souvent : hélas ! mon cœur tremblant se demande sans cesse : « Suis-je au monde ou suis-je au Seigneur? » Ils expriment constamment la crainte de ne pas aimer Jésus. Et en vérité, ce n’est pas sans raison qu’ils ont des craintes à cet égard ; car s’ils ne portent point de fruit, s’ils ne s’étudient point à affermir leur vocation et leur élection, ils témoignent hautement par là que, malgré leur simulacre de religion, ils n’ont aucune part en Christ. — Mais, d’un autre côté, il faut souvent aller chercher le formaliste parmi ceux qui ne doutent jamais. Aussi haut que qui que ce soit, il dira, sans rougir et sans hésiter : « Je sais en qui j’ai cru ; je sais que je suis chrétien ; que d’autres aient des doutes, c’est possible ; quant à moi, je suis certain que mes péchés ne peuvent pas plus me condamner que ma justice ne saurait me sauver. Quoi qu’il en soit, et quoi que je fasse, je suis au Seigneur… » Ah! pauvre âme aveuglée, Dieu veuille dissiper ta funeste illusion et te faire reconnaître que malgré ta confiance, tu ne vaux pas plus que celui qui doute toujours et ne croit jamais!
Il y a tel formaliste qui, invité à prier dans une réunion fraternelle, s’excuse toujours sous un prétexte ou sous un autre, qui néglige le culte de famille, et probablement aussi ses dévotions particulières. Mais par contre, il y a tel autre formaliste qui se lève avec empressement et qui prie pendant un quart d’heure avec une abondance remarquable. Il a beaucoup de paroles, mais point de fond ; beaucoup de feuilles, mais point de fruits ; il possède le don de bien parler, mais non celui de bien vivre ; il s’exprime bien, mais agit mal ; il est pieux dans son langage, mais non dans sa conduite ; il sait discourir des choses saintes, mais il ne sait pas marcher saintement avec son Dieu et le servir avec joie. Mes chers auditeurs, je ne connais pas chacun de vous individuellement ; j’ignore quels sont votre caractère, votre réputation,vos habitudes, votre moralité ; mais je sais une chose : c’est que quelque considérés que vous soyez dans le monde, quelque confiance que vous inspiriez à l’Église elle-même, vous n’êtes nullement en droit de conclure, sans vous être préalablement examinés avec soin, que votre piété est autre chose qu’un froid et vain formalisme. Sachez-le bien, il est très facile de se séduire soi-même. Tous les arbres stériles ne croissent pas dans le désert du monde ; il en est, hélas! un trop grand nombre qui étendent leurs rameaux sans sève et sans vie au centre même du jardin de Dieu. Je le répète, les formalistes se trouvent partout : il y en a de tout genre et de tout caractère ; il y en a de tout rang et de toute condition ; il y en a parmi les grands comme parmi les petits ; parmi les savants comme parmi les ignorants ; parmi les riches comme parmi les pauvres ; parmi les membres les plus timides, les moins connus d’un troupeau, comme parmi ceux qui se mettent le plus en évidence. À chacun donc de s’examiner soi-même!
Mais dois-je essayer de vous décrire le formaliste avec plus de détails encore? — Voyez cet homme qui néglige la prière du cabinet et qui ne marche point devant Dieu en public ; cet homme qui rend à son Créateur un culte hypocrite, et qui, tout en affectant le plus grand respect pour ses devoirs religieux, use de déloyauté dans les affaires, et de fraude dans son commerce ; cet homme enfin qui, semblable aux pharisiens orgueilleux dont le Seigneur disait qu’ils dévoraient les maisons des veuves, cache habilement ses iniquités, puis va, le front haut, se présenter devant Dieu, en s’écriant : O Dieu! je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes! Voilà un formaliste, mes frères! Voilà un sarment stérile! Il fait profession de christianisme, c’est vrai, mais il ne porte aucun fruit qui vienne à maturité.
Voyez encore cet homme qui se fait gloire de sa moralité et de son excellence ; il se confie dans ses œuvres et se flatte d’être sauvé par ses mérites ; il s’approche de Dieu, et lui demande son pardon ; mais un mensonge est dans sa main droite, et ses lèvres sont des lèvres trompeuses, car il apporte avec lui sa propre justice et il ne croit point avoir besoin de la grâce qu’il sollicite. Lui aussi est un formaliste, lui aussi est un sarment stérile, car il n’a de la religion que les dehors et l’apparence.
Et qu’est-il de plus qu’un formaliste, cet homme si rigide, si inflexible sous le rapport de la doctrine, mais si relâché, si accommodant sous le rapport de la vie? Il est très-orthodoxe en théorie, mais il l’est fort peu en pratique. Il fait grand bruit de ses croyances, mais il les désavoue par sa conduite. Il est le premier à chanter : c’est pour l’éternité que le Seigneur nous aime ; mais évidemment il n’a jamais eu de part à l’amour de Christ, puisqu’au lieu d’aimer et de servir son Maître, il continue à pécher afin que la grâce abonde.
Mais que fais-je ici en m’efforçant de vous démasquer, O hypocrites? Puisse le Seigneur lui-même vous démasquer en cet instant devant vos propres consciences. Ah! que d’arbres stériles, que de chrétiens purement extérieurs, que de membres indignes de l’Église n’y a-t-il pas dans cet auditoire! Oh! qu’elles sont nombreuses les âmes auxquelles pourrait justement s’adresser la malédiction prononcée contre Méroz : Maudissez Méroz, a dit l’ange de l’Éternel; maudissez, maudissez ses habitants ! Car ils ne sont point venus au secours de l’Éternel, au secours de l’Éternel, avec les hommes puissants (Juges 5.23) ! Combien parmi vous, en effet, qui se contentent de manger le plus gras du pays, et de boire le vin doux (Néh. 8.10), sans porter aucun fruit à la gloire du Seigneur ? Paresseux Issacars, vous vous tenez couchés, comme un âne gros et fort, entre deux jougs (Gen. 49.14), sans rien faire pour votre Maître ; vous traversez la vie, sans parler de Christ, sans prier pour Christ, sans donner à Christ, sans vivre pour Christ! Vous avez la réputation d’être vivants, mais vous êtes morts ; vous vous drapez dans une profession extérieure de piété, mais vous ignorez absolument ce que c’est que de se consacrer à Dieu et de s’offrir tout entier à lui en sacrifice vivant et saint. — Jugez vous-mêmes de ce que je dis, mes frères ; si, en cet instant, vous étiez passés au crible, combien d’entre vous sortiraient purs de cette épreuve? N’est-il pas vrai qu’il y a dans nos Églises un grand nombre de soi-disant chrétiens aux prétentions élevées, qui volent haut, mais ne font rien ; qui sont empressés à parler de l’Évangile, mais lents à vivre selon l’Évangile ; qui se plaisent peut-être à entendre annoncer la vérité, mais qui ne pratiquent pas cette vérité, en servant leur Dieu et en honorant sa sainte cause? À de tels chrétiens, je dis hautement : vous êtes les êtres les plus inutiles, les plus destitués de valeur, qui existent dans le monde ! Comme la vigne, vous seriez honorables si vous portiez du fruit ; mais de même qu’un cep improductif est méprisable, de même vous n’êtes bons à rien qu’à être jetés dehors et brûlés au feu.
Et maintenant, je passe à la seconde question : d’où vient que les âmes dont nous parlons soient stériles? La réponse est bien simple : parce que leur piété n’a point de racines. Oui, il n’est que trop vrai, beaucoup de membres de nos Églises n’ont pas la moindre racine en eux-mêmes. Il se peut qu’ils aient de beaux dehors, et que de loin leur aspect séduise ; mais encore une fois, les racines leur manquent. Ne vous souvient-il pas de ce jeu de votre enfance, alors que vous cueilliez quelques fleurs et que vous enfonciez leurs tiges dans la terre? Vous appeliez ce parterre improvisé « votre jardin » ; puis le lendemain, vous couriez le visiter, mais toutes les fleurs étaient fanées et mortes. Ainsi en est-il de beaucoup de prétendus chrétiens : jolie fleur mise en terre sans racine, n’ayant aucune adhérence au sol, et par conséquent ne puisant en lui aucun suc nourricier, leur piété se flétrit et meurt sans avoir porté aucun fruit agréable à Dieu. — Tu t’es trop hâté, ô mon frère! Tu as dit à ton pasteur : « Je désire être reçu dans l’Église ». Celui-ci t’interroge, s’assure que tu connais la vérité ; tu lui affirmes solennellement que ton cœur est en paix avec Dieu. Alors, il te baptise[1], te reçoit au nombre des enfants de Dieu ; mais hélas, la vie religieuse n’avait point de racines ; aussi, qu’est-il arrivé? Après un temps, elle a séché. Les ardeurs du soleil l’ont brûlée, ou bien elle va s’étiolant de jour en jour, sans porter aucun fruit. Et comment aurait-il pu en être autrement, puisqu’elle n’avait aucune racine? C’est à la racine, mon frère, que tu aurais dû songer tout d’abord ; puis les branches auraient crû d’elles-mêmes ; mais c’est le contraire que tu as fait : de là provient ta stérilité.
Et ici, j’éprouve le besoin de m’adresser tout particulièrement aux jeunes gens de mon troupeau. Le dirai-je? Je tremble souvent en pensant à eux, car je crains que, dans bien des cas, ils ne prennent pour une véritable conversion ce qui n’est que le résultat de l’entraînement ou d’une excitation passagère. Ils ont peut-être éprouvé pendant un temps un certain travail dans leur conscience ; toutefois, ce travail n’était pas assez profond, assez réel pour être divin ; aussi ne saurait-il durer. Mais alors même que toute trace de piété intérieure s’est évanouie, malheureusement la profession extérieure reste, et ils se font de cette profession même un oreiller de sécurité. « Nous sommes membres de l’Église, se disent-ils ; nous n’avons donc rien à craindre. » Avertissez-les solennellement; insistez sur le devoir de s’examiner soi-même : vos paroles ne les touchent point. Ils sont baptisés, admis à la cène ; ils ont en quelque sorte franchi le Rubicon qui sépare le monde de l’Église : que leur faut-il de plus? Oh! je ne saurais dire combien je tremble pour ces jeunes âmes! Sans doute, je gémis à cause de l’endurcissement des incrédules ; mais je gémis bien plus amèrement encore à cause du fatal aveuglement de ces pauvres coeurs abusés ; car, comment faire impression sur eux, puisqu’ils se croient dans le meilleur état possible, tandis qu’en réalité ils sont dans un fiel très-amer et dans les liens de l’iniquité? Mes jeunes amis, je ne voudrais décourager aucun de vous d’entrer dans les voies de la piété ; mais voici ce que je vous dis : examinez-vous vous-mêmes avant de faire profession d’appartenir à Dieu. Je ne voudrais en aucune manière empêcher ceux d’entre vous qui aiment le Seigneur Jésus de confesser franchement leur Maître et de se joindre à l’Église ; mais encore une fois, je vous en supplie, sondez vos cœurs et éprouvez vos reins. Que de personnes qui se sont crues converties sans l’être réellement! Que de milliers d’âmes qui ont ressenti une fois ou l’autre des impressions sérieuses, éprouvé pendant plus ou moins de temps une sorte de changement, un certain malaise intérieur, mais chez qui toutes ces impressions se sont ensuite évanouies comme un songe! Permettez-moi de vous citer un fait qui vient à l’appui de ce que j’avance.
Il y a peu de jours, je reçus la visite d’un excellent homme, qui est aujourd’hui, je le crois, un véritable enfant de Dieu, et qui venait me dire qu’il avait été récemment convaincu de péché par le moyen de ma prédication. Il me raconta en peu de mots quel avait été son passé religieux. « Je suis né dans la Nouvelle-Angleterre, me dit-il, et fus baptisé dans mon enfance. J’étais encore bien jeune lorsqu’un réveil se manifesta dans mon village natal. C’est à peine s’il y eut un jeune garçon ou une jeune fille qui ne donnât pas des signes de conversion ; moi-même, je fus vivement impressionné. Il n’y avait point assurément, dans tout le village, un coeur aussi endurci que le mien ; toutefois, mon péché me trouva à la fin. Je me souviens que je pleurais abondamment devant Dieu et le priais avec ferveur. J’allai trouver le pasteur, je lui dis que j’étais converti ; je le trompai, et fus admis dans l’Église. Peu de temps après, j’étais plongé dans les vices les plus noirs et j’avais renoncé à toute profession de piété. Après avoir fini mes études, mon inconduite devint si criante que je fus excommunié, et jusqu’à ces derniers temps, j’ai vécu dans une complète incrédulité, sans donner une seule pensée à mes intérêts éternels. »
Vous le voyez, mes chers amis, il est facile de se faire illusion. Prenez donc garde, je vous en conjure. Bien des personnes s’élancent dans la piété sans plus de réflexion que si elles s’élançaient dans un bain ; mais le plus souvent, elles en ressortent aussi vite qu’elles y sont entrées, car leur cœur appartient encore au monde. Peut-être ces personnes croyaient-elles sincèrement s’être données au Seigneur, mais l’édifice de leur foi péchait par sa base; aussi, tôt ou tard, il s’écroule. Oh! je ne saurais trop le redire : ce qui fait que nos Églises comptent tant de membres stériles et morts, c’est parce qu’on ne se préoccupe pas assez des premiers commencements ; on ne prend pas assez garde au point de départ ; on ne tient pas assez compte des premières lueurs de l’aube du jour ; on confond trop aisément le pâle et vacillant lumignon de ses propres espérances avec les premières clartés du soleil de justice ; et, parce que la loi a blessé la surface de la conscience, on se figure que la main du Seigneur a porté le coup de mort à l’homme naturel, tandis qu’on est encore complètement étranger à l’oeuvre bien autrement puissante, profonde et efficace de l’Esprit de Dieu. Ne nous reposons pas trop, mes frères, sur nos expériences, sur nos sensations, sur nos bons désirs eux-mêmes ; ne nous hâtons pas de poser en fait que nous sommes enfants de Dieu, sans nous être assurés avec soin que nous avons droit à ce titre. Revenons souvent en arrière, et recommençons comme tout de nouveau notre course ; allons continuellement à Christ, en lui disant comme au premier jour : Je viens à tes pieds, les mains vides ; tout mon espoir est en ta croix!
Car, ne l’oublions pas, mes bien-aimés : toute pinte qui n’a pas eu de bons commencements, — c’est-à-dire qui a commencé ailleurs qu’au pied de la croix de Christ — ne saurait être que stérile et vaine.
Quel est le cas que Dieu fait du formaliste? Telle est la troisième question que nous nous sommes posée. Je ne demande pas, remarquez-le, quel cas il fait de lui-même ; car, en général, le formaliste a une si haute opinion de son mérite, qu’en vérité, celui-là ferait bien vile fortune qui l’achèterait à sa véritable valeur, pour le revendre ensuite au prix auquel il s’estime. Je ne demande pas non plus ce que pensent du formaliste ceux qui le connaissent superficiellement. Il est possible que l’Église à laquelle il vient de se rattacher le tienne en haute estime ; pasteur et fidèles le louent à l’envi. Peut-être est-ce un homme haut placé ; on est flatté de sa seule présence dans le lieu de culte, on s’empresse de le revêtir de la dignité d’ancien. De ces sortes d’appréciations, je n’ai point à m’occuper ; c’est l’appréciation de Celui qui sonde les cœurs et les reins que je tiens à constater. Or, voici ce que Dieu pense de tout homme qui fait profession d’être pieux sans être sincère : il n’est rien au monde de plus inutile qu’un tel homme!
Et, chose remarquable, ce jugement que le Seigneur porte sur le formaliste devient, à mesure qu’il est mieux connu, celui de tout le monde. En voulez-vous des preuves? Interrogeons le troupeau dont il fait partie depuis des années. « À quoi vous a servi ce formaliste? Quel bien ne vous a-t-il jamais fait? Membres de l’Église, répondez! Vous soulage-t-il dans vos détresses? Vous console-t-il dans vos afflictions? Lorsque votre pasteur est lassé, soutient-il par la prière ses mains défaillantes? Lorsque l’heure du combat a sonné, marche-t-il à la tête des soldats de Christ? Quel service vous a-t-il rendu? Quel service vous rend-il encore? » Membres de l’Église! Je vous entends vous écrier tout d’une voix : « Arrière de nous, le formaliste! Il n’est bon à rien, il n’est propre à aucun usage. Loin de servir l’Église, il lui fait tort, car sa vie est en contradiction avec ses principes. Sarment stérile, qu’on le retranche du milieu de nous! »
Ainsi chassé de l’Église, où se réfugie le formaliste? Dans le monde. Et quel accueil y reçoit-il? Écoutons. « Enfants du monde, que pensez-vous de cet homme? Il fait profession de piété : quel cas en faites-vous? » — « Arrière de nous les gens de son espèce! » nous répondent-ils avec dédain ; « cet homme n’a aucune consistance, il tourne à tous les vents : aujourd’hui, il prend les airs d’un saint ; demain, il se conduira comme l’un des nôtres. Qu’il aille où bon lui semble! Nous ne voulons point de sa compagnie. »
Quoi? Le monde comme l’Église repousse le malheureux! Mais sûrement sa famille du moins lui rendra un meilleur témoignage. Demandons à son fils. « Jeune homme, à quoi t’a servi la piété de ton père? Que lui dois-tu? — Ce que je lui dois? répond le fils ; absolument rien. Il est vrai que mon père demande à Dieu avec une apparente ferveur de me convertir ; mais il se lève de ses genoux pour donner carrière à son humeur irascible. Il est violent et emporté. Que de fois ne m’a-t-il pas frappé avec colère, sans aucune provocation de ma part? Le dimanche, il va régulièrement au culte, et il exige que ses enfants l’y accompagnent ; mais nous savons ce qu’il fait le lundi : il s’enivre, ou jure, ou se met en colère… il m’a fait prendre le christianisme en aversion, il m’a rendu incrédule : voilà tout ce que je lui dois. »
Du fils, passons à l’épouse. « Que pensez-vous de votre mari? lui dirons-nous ; il y a longtemps qu’il fait profession de piété : qu’y avez-vous gagné? » — « Hélas! répond la pauvre femme, il ne me sied pas, je le sais, de mal parler de mon mari, mais la vérité m’oblige à dire qu’il m’a rendue la plus malheureuse des femmes. Je crois que je serais aujourd’hui une véritable chrétienne, si je n’avais eu sous les yeux le triste spectacle de ses inconséquences. Il m’a scandalisée, il m’a brisé le cœur. Il a toujours été une pierre d’achoppement pour moi… »
Mais poursuivons notre interrogatoire. Que la servante comparaisse à son tour devant nous. « Jeune fille, que pensez-vous de votre maître? Il se donne pour un homme religieux : qu’avez-vous à dire sur son compte? — Avant de me placer chez lui, réplique la servante, je me figurais que les chrétiens étaient de dignes gens, avec lesquels on devait s’estimer heureux d’avoir affaire; mais si tous les chrétiens ressemblent à mon maître, j’avoue que je préférerais gagner moitié moins et servir un homme du monde : voilà tout ce que je puis dire. »
Mais notre formaliste est peut-être à la tête d’un grand commerce, d’une industrie considérable. Il jouit de la considération publique ; il passe pour un homme excellent. N’a-t-il pas fait un don généreux en vue de la construction de telle église? Ne contribue-t-il pas annuellement à l’entretien de telle école? Toutefois, ne nous en tenons pas à ces vagues renseignements ; questionnons ses commis, ses ouvriers. Demandons-leur, à eux aussi, ce qu’ils pensent de leur patron. « Ce que nous en pensons, répètent-ils ironiquement, c’est qu’il est le plus mauvais payeur de la paroisse, et qu’il est bien dur d’être à sa merci. — Mais sa piété? — Sa piété! C’est une indigne comédie, et rien de plus! Autrefois, nous fréquentions le culte divin ; mais nous sommes droits, nous sommes sincères, et nous avons préféré ne plus y assister que de nous y trouver en face d’un misérable hypocrite tel que lui. »
Mes frères, les portraits que je trace ne sont pas fictifs, ils sont réels ; et, sans aller bien loin, je pourrais, je n’en doute pas, trouver des hommes qui ressemblent fort à ces portraits.
Et maintenant, je réitère ma question : que valent de tels hommes? À quoi sont-ils bons? S’ils disaient franchement : « Je ne suis pas chrétien », ils agiraient du moins en êtres sensés et rationnels. Car, en définitive, si Baal est Dieu, il est juste que Baal soit servi, et si le monde vaut la peine qu’on l’adore, il est juste qu’on l’adore loyalement, de tout cœur, sans faire tort à Satan d’une seule parcelle de ce qui lui est dû. Mais si Dieu est Dieu, si l’Éternel est l’Éternel, que dire de l’homme qui vit dans le péché, tout en affectant de le servir et en parlant de sa grâce? Le Seigneur le repousse loin de lui avec horreur ; il le désavoue, il le regarde comme un objet vil et indigne entre tous! Semblable à la vigne qui ne porte point de fruit, ce soi-disant chrétien vaut moins que rien ; il occupe la terre en pure perte, car il ne se conduit pas d’une manière digne de l’Évangile. Mes chers amis, je ne voudrais rien avancer qui pût vous paraître exagéré ou imprudent, mais croyez bien que je dis ceci de sang-froid et après mûre réflexion. S’il se trouvait quelqu’un parmi vous qui fit profession de piété, mais dont la conduite prouvât que cette profession n’est que feinte et mensonge, je l’engage fortement (et je le répète, je dis ceci en pesant la portée de mes paroles), je l’engage à renoncer complètement aux formes de la religion et à se montrer tel qu’il est. Oui, mes chers auditeurs, je vous en supplie, ayez au moins le mérite de la franchise. Ne boitez pas des deux côtés. Ne jouez pas double jeu. Si Dieu est Dieu, servez-le, et servez-le sans réserve, sans partage. Si Baal est Dieu, si Satan est un bon maître, si vous désirez vivre à son service et gagner son salaire, libre à vous ; servez-le : mais, au nom de votre âme, ne mêlez pas le service de Dieu et le service de Satan! Soyez ou tout l’un, ou tout l’autre : chrétien ou mondain, enfant de lumière ou enfant de ténèbres. Renoncez à votre hypocrite formalisme et ayez le courage de vous déclarer hautement serviteur du diable ; ou bien gardez votre profession de piété et vivez comme un serviteur de Dieu : encore une fois, soyez ou tout l’un ou tout l’autre. Mes frères, je vous exhorte solennellement à choisir dès aujourd’hui qui vous voulez servir. C’est en vain, sachez-le, que vous essaieriez de faire de la conciliation en pareille matière : nul ne peut servir deux maîtres ; vous ne pouvez servir Dieu et Mammon (Matt. 6.24). Et maintenant, il ne me reste plus qu’à répondre à cette question : quelle sera la fin de la vigne stérile? Le prophète nous dit qu’elle sera consumée par le feu. Et en effet, quand un vieux cep ne porte plus de fruit, que devient-il? Le vigneron l’arrache, le jette de côté avec le bois mort et les mauvaises herbes, puis il est brûlé. Tout autre arbre serait du moins réservé pour le feu du maître; mais le cep est tellement méprisable qu’il est mis au rebut pour être employé à des usages vils. L’antique et robuste chêne des forêts est brûlé, lui aussi, il est vrai ; mais ses funérailles sont dignes de sa grandeur passée ; il tombe en cendre avec honneur et il y a de l’éclat dans sa flamme. Mais quant à la vigne stérile, on la traite avec mépris ; on la laisse se consumer lentement et ignominieusement, au milieu de débris de toutes sortes ; en un mot, sa fin est misérable au plus haut degré. Il en sera de même du formaliste. Sans doute, tout homme qui n’aime pas Dieu périra ; mais celui qui prétend l’aimer, sans l’aimer réellement, périra avec une double mesure d’ignominie. Non seulement il ne sera pas enseveli dans le sépulcre des rois, mais encore ce qui est dit d’un ancien roi d’Israël peut lui être appliqué dans un certain sens : il sera enseveli de la sépulture d’un âne, il sera traîné et jeté hors des portes de Jérusalem (2 Chron. 21.20, Jér. 22.19). Oui, j’en suis convaincu : la damnation d’un formaliste sera le spectacle à la fois le plus terrible, le plus ignoble, le plus effroyable que l’enfer ne puisse jamais voir! Lorsque Satan, plein d’une haine diabolique contre son Créateur, fut précipité du ciel, il y eut du moins une sorte de grandeur dans sa chute, comme il y avait eu quelque chose de hideusement sublime dans son péché. De même, quand un hardi blasphémateur, quand un impie audacieux est lancé en enfer, il y a dans leur perdition un certain caractère de grandeur et de majesté, et cela, parce qu’ils ont eu le courage de se montrer tels qu’ils étaient. Mais lorsqu’un homme qui s’est fait un masque de la piété sera envoyé en son lieu, qui pourrait dire le surcroît de honte, d’opprobre, de confusion, d’amertume incomparable qui accompagnera son supplice? Il me semble que je vois l’incrédule avoué soulevant ses chaînes de feu, saluer par un sifflement ironique le ministre hypocrite qui arrive en enfer. «Aha! Aha! dira-t-il, te voici donc au milieu de nous! Tu me reprenais autrefois à cause de mes blasphèmes, à cause de mes débauches, et maintenant te voici dans l’enfer des débauchés et des blasphémateurs! » — « Aha! reprendra un autre damné, je te reconnais, austère et rigide pharisien! Te souvient-il du jour où tu me déclaras que je périrais si je demeurais incrédule ; et toi, qu’as-tu gagné, je te prie, à jouer le croyant? Va! Tu es le plus vil d’entre nous! Je suis perdu comme toi, mais du moins je n’ai pas rougi de servir mon maître, tandis que, lâche hypocrite, tu n’as eu le courage de bien servir ni Dieu ni Satan !»
Et une autre voix hurlera du fond de l’abîme : « Ministre de l’Évangile! Chante-nous maintenant un de ces cantiques que jadis tu avais toujours sur les lèvres ; cite-nous quelque passage de la Bible ; parle-nous d’élection, de grâce, de sainteté… » Et d’un bout à l’autre de l’enfer retentiront des sifflements, des injures, des cris d’indignation et de rage à l’adresse de celui qui se disait chrétien, qui même enseignait les autres, mais dont le cœur n’était pas droit devant Dieu!… Pour ma part, mes frères, je vous le déclare, il n’est aucune réprobation qui me semble plus à redouter que la réprobation réservée aux hypocrites apostats, à ces hommes sans pudeur ni conscience qui prétendent aimer le Seigneur, glosent sur des sujets religieux, défendent avec chaleur le christianisme, participent à la sainte cène, parlent des heureux effets d’une bonne communion, se lèvent pour prier dans les assemblées fraternelles, et expriment l’assurance qu’ils seront exaucés à cause de leur foi, mais qui tout en se couvrant ainsi du manteau de la religion, commettent des choses abominables ; opprimant le chétif, faisant tort à l’orphelin et pratiquant toutes sortes d’iniquités! Oh! en vérité, j’estime que la condamnation particulière qui fondra sur de tels hommes sera deux fois plus redoutable, deux fois plus écrasante, que celle de toute autre classe de pécheurs. Il me semble qu’en enfer il y aura comme un autre enfer, où les damnés les plus coupables seront comme damnés une seconde fois ; et là seront jetés les hypocrites, tous ceux qui ont été avec nous, mais qui n’étaient pas des nôtres, qui prétendaient appartenir à Christ, mais qui n’étaient que de vils imposteurs!… Oh! formalistes qui m’écoutez, je vous en supplie : si vous ne voulez pas aggraver votre condamnation, si vous ne voulez pas attiser vous-mêmes le feu qui ne s’éteint point, si vous ne voulez pas que vos chaînes soient rendues plus pesantes, votre rage plus hideuse, vos imprécations plus désespérées, je vous en supplie, quittez, quittez sans délai cette profession de piété dont vous êtes indignes! Ou bien décidez-vous pour le Seigneur; sortez de cette enceinte contrits et humiliés et, rentrés chez vous, ployez le genou devant Dieu en lui demandant de vous sonder, de vous éprouver, de vous rendre intègres et droits devant sa face. Prenez la ferme résolution de renoncer à ce honteux système de duplicité et de fourberie que vous avez suivi trop longtemps. Ne vous drapez plus dans les robes de la sainteté extérieure pour cacher les souillures qui couvent en dessous. Soyez vrais, soyez sincères. Si, à vos risques et périls, vous voulez continuer à vivre loin de Dieu, soyez des pécheurs qui se donnent pour ce qu’ils sont, et non de vils et rampants hypocrites. Que vaut le bois de la vigne plus que tous les autres bois? Sans contredit, il vaut beaucoup moins ; c’est pourquoi si la vigne ne porte pas de bons fruits, sa fin sera la plus terrible, la plus infamante, la plus lamentable qui se puisse imaginer.
Mes chers auditeurs, cela ne vous émeut-il point? Cela n’ébranle-t-il point vos consciences?… Ah! vous tremblez probablement, vous qui n’avez point sujet de trembler ; mais quant à ceux que ces dures vérités devraient transpercer jusqu’au fond de l’âme, hélas! je le crains, ils demeurent impassibles. L’avertissement que le Seigneur vient de vous faire entendre retentira dans le cœur des vrais enfants de Dieu, comme le cri du prophète (Allusion à Jérémie 48): Hurlez, hurlez, à cause de Moab! Mais, hélas! Moab lui-même ne hurlera point! Vous gémirez sur Kir-Hérès, mais Kir-Hérès ne gémira point sur elle-même! Vous pleurerez sur les hypocrites de votre connaissance, mais quant à eux, ils se retireront dans leurs demeures, tranquilles et satisfaits, en se disant les uns aux autres : « Discours énergique aujourd’hui, mais qui ne nous concernait en rien. » Puis, ils iront, avec une froide présomption, avec une inconcevable assurance, prendre d’une main la coupe du péché, et de l’autre la coupe du Seigneur ; chanter un soir des chansons profanes, et le lendemain : Jésus , refuge de mon âme ; se rencontrer ici avec Christ, et là avec le diable ; et, le nom de Dieu encore sur les lèvres, applaudir à toutes les œuvres ténébreuses de Satan! Ah! pécheurs, pécheurs, pécheurs! Prenez garde, prenez garde, je vous en conjure! Que chacun de nous interroge son cœur, pour s’assurer si, jusqu’à présent, il ne s’est point séduit lui-même. Et veuille le Seigneur illuminer notre entendement, afin que nous soyons parfaitement au clair sur cet important sujet! Disons-lui tous ensemble : O Dieu fort, sonde-moi et considère mon coeur ; éprouve-moi, et considère mes discours ; et regarde s’il y a en moi aucun mauvais dessein, et conduis-moi par la voie du monde (Ps. 139.23-24).
Je termine ; mais auparavant, il faut que je te dise aussi un mot, à toi, mon cher auditeur, qui en cet instant même te dis avec une joie maligne : « À la bonne heure! Les faux dévots ont eu leur compte aujourd’hui! Quant à moi, je suis hors de cause ; je ne fais point profession de piété ; nul ne pourrait me traiter d’hypocrite. » J’en suis fort aise, mon ami, et je t’en félicite. Toutefois, ne va pas t’imaginer que tu sois beaucoup plus avancé pour cela. Supposons que deux hommes soient conduits devant la justice, et que l’un d’eux, feignant la juste indignation de la vertu calomniée, s’écrie : « Je suis un honnête homme, je proteste de mon innocence! » Néanmoins, malgré ses dénégations, on acquiert la certitude qu’il est coupable du crime dont on l’accusait, et on le condamne. Vient le tour du second inculpé.
« Monsieur le juge, commence-t-il, je reconnais que je suis coupable ; j’ai toujours été un scélérat et le serai toujours ; je n’ai aucune prétention à la vertu. » Penses-tu, mon cher auditeur, que le juge fasse grâce à ce dernier, en raison de son effronterie? Assurément non. De même, si tu dis en ton cœur : « Je n’ai aucune prétention à la piété, donc je n’ai rien à craindre », sache que tu t’abuses étrangement ; et permets-moi de te dire que si c’est une chose terrible que de vouloir se faire passer pour chrétien alors qu’on ne l’est pas, c’est une chose non moins terrible que de vivre, le sachant et le voulant, en dehors de toute piété. À ton tour, prends donc garde de ne pas te faire illusion. Ce qu’il nous faut à tous, sans exception, c’est un nouveau cœur et un esprit droit ; sinon, que nous soyons formalistes ou que nous ne le soyons pas, nous périrons infailliblement.
Oh! puisse Dieu nous accorder la grâce, aux uns et aux autres, de crier à lui et d’implorer son pardon! Puisse-t-il nous aider à nous repentir de nos péchés et à placer notre confiance simplement et entièrement en notre Seigneur Jésus-Christ! Alors, nous serons sauvés dès ici-bas, et sauvés pour l’éternité.
FIN
[1] On sait que le Rév. Spurgeon appartient i l’Église Baptiste, et que dans cette Église nul ne peut recevoir les eaux du baptême ou participer à la cène sans avoir fait une profession de foi individuelle.
The Fruitless Vine ; traduit de l’anglais pour la « Société des Livres Religieux », 1860, réédité par Danny Therrien et Hugo Lacasse